jeudi 16 mai 2013

Croissance, compétitivité et pensée unique 




Afin de lutter contre le chômage, les politiques économiques du PS comme de l'UMP visent le retour de la croissance économique et de la compétitivité via une austérité publique plus ou moins forte et des « réformes structurelles » (comme on dirait à la Commission Européenne mais aussi à Berlin), autrement dit des réformes libérales remettant progressivement en cause notre modèle social.
Je souhaite dans cet article interroger ces deux objectifs et modestement proposer une vision alternative à cette pensée unique.
Concernant la croissance économique tout d'abord :
  • En tant qu'écolo, je ne vais pas vous refaire la critique classique du productivisme/consumérisme et de ses conséquences néfastes sur l'environnement, mais cette critique reste majeure (voir les autres articles sur l'écologie).
  • En outre, pas besoin d'être un grand économiste pour observer que la tendance profonde est à la baisse du taux de croissance. Un point de croissance en France en 2013 représente beaucoup plus qu'un point durant les « Trentes Glorieuses » (qui n'était d'ailleurs pas un âge d'or, la vie est beaucoup plus confortable aujourd'hui). Même si les besoins fondamentaux des plus défavorisés ne sont toujours pas assouvis et si je ne sous-estime pas la capacité de nos entreprises à nous vendre des biens et services inutiles, il est clair que nous avons déjà atteint un niveau de développement matériel très/trop élevé.
  • Enfin, cette croissance faible est de moins en moins créatrice d'emplois. En effet, il est difficile dans une économie tertiarisée de réaliser de gros gains de productivité et de croître de manière exponentielle. De plus, les secteurs innovants font souvent appel à une main d'œuvre très qualifiée mais aussi très restreinte.
Alors faisons le deuil de cette croissance au lieu d'en chercher frénétiquement le retour hypothétique et néfaste à long terme.
Mais alors par quoi remplacer la croissance pour chercher le plein emploi ? Pas de recette miracle mais :
  1. Par la transformation écologique de l'économie et la décroissance sélective parallèle de secteurs polluants voués au déclin :
    La transformation écologique de l'économie se sont des investissements publics (au mieux : majoritairement européens) et privés massifs dans des secteurs forcément d'avenir: dans les énergies renouvelables et l'efficacité énergétique ; les technologies vertes et les produits industriels éco-conçus dans un modèle « cradle to cradle » ; l'agriculture biologique et locale (voir l'article sur la réforme de la PAC notamment); les transports collectifs ; la rénovation thermique des bâtiments anciens et de nouveaux logements HQE ; l'économie sociale et solidaire, la finance solidaire et les banques coopératives...Ces investissements créeront des emplois durables et non-délocalisables. Ils seraient pilotés au niveau local par les régions et devraient profiter majoritairement aux TPE et PME (voir article sur le modèle allemand, les Mittelstand).
    Mais cette transformation écologique doit aller de pair avec l'accompagnement de la décroissance sélective de certains secteurs constituants le pendant des secteurs d'avenir (par exemple, l'aérien, l'automobile partiellement et les transports routiers ; les énergies fossiles et la chimie lourde ; l'agriculture intensive ; le nucléaire...). Pour les décideurs politiques, il s'agira d'être courageux à double titre :
    - en réorientant progressivement les aides/subventions/exonérations de ces secteurs pour financer (partiellement)la transformation écologique.
    - en assurant au maximum l'accompagnement social des employés de ces secteurs en déclin (via notamment les formations des chômeurs et tout au long de la vie et les reconversions professionnelles vers les secteurs de la transition écologique).
  2. Par une nouvelle réflexion sur le partage du temps de travail :
Il faudra ici aussi être créatif, un nouveau partage peut prendre beaucoup de formes et ne pas se limiter simplement à une réforme du temps de travail hebdomadaire (comme avec les 35 heures). Il devrait aussi dans l'idéal suivre les gains de productivité.
Au demeurant, on entends souvent que les Français travailleraient moins que les autres, et notamment moins que les Allemands. Si les allemands en CDI à temps plein travaillent en effet plus longtemps (quels impacts pour leur productivité?) que ceux en France, la politique de « Kurzarbeit » (très récemment mis en place en France dans une moindre mesure, voir l'ANI) et le grand nombre de temps partiels (qui créent des travailleurs pauvres), rééquilibrent la balance globale du nombre d'heures travaillées.
Je n'appelle bien sûr pas à une telle configuration libérale du partage du temps de travail. Je vous invite en revanche à lire les réflexions de Pierre Larrouturou au sujet de la « semaine de 4 jours à la carte », ou des propositions du magazine « Alternatives Économiques » pour instaurer des congés sabbatiques rémunérés (d'1 an tous les 10 ans ou de 6 mois tous les 5 ans).
De telles mesures auraient évidemment pour but de lutter contre le chômage mais elles permettraient aussi d'améliorer la productivité, la créativité et la mobilité professionnelle des travailleurs.
Certains rétorqueront que partager le temps de travail revient à baisser la performance et la compétitivité de nos entreprises.
Passons alors à l'objectif de compétitivité :
Il faut tout simplement observer qu'être compétitif se fait toujours au détriment des autres.
Au détriment des autres salariés et du climat de travail au sein d'une entreprise ; au détriment des autres territoires dans une région ou pays (pôles de compétitivité VS zones de relégation) ; au détriment de ses partenaires extérieurs (voir l'article sur le modèle allemand)etc, etc.
C'est cette dernière qui nous intéresse ici. Au nom de l'objectif de compétitivité, on remet en cause une forte fiscalité progressive (dumping fiscal), les droits sociaux (dumping social) et des normes environnementales exigeantes (dumping écologique). Finalement, la course à la compétitivité s'apparente à un cercle vicieux, une course au moins-disant (« race to the bottom »), un "dilemme du prisonnier" grandeur nature où au final tout le monde perd...sauf peut-être une petite minorité d'ultra-riches.
Mais alors comment se débarrasser de la compétitivité (au moins sa composante « coût ») ?
    1.) Par l'harmonisation et la coopération économique européenne :
    Près des trois quart des échanges commerciaux de la France se font avec les autres pays de l'UE. Ce constat est à peu près valable pour les autres pays de l'Union.
    Alors à quand une harmonisation inter-étatique fiscale (voir l'article sur le Serpent Fiscal Européen et la lutte acharnée contre les paradis fiscaux), sociale et environnementale par le haut ?
    Et au-delà de cette harmonisation, à quand un renforcement de la coopération économique européenne ? Pourquoi ne pas lancer notamment un équivalent d'Airbus-EADS pour les énergies renouvelables ?
    De plus, la transition écologique de nos économies pour être la plus efficace possible doit être financée et organisée au niveau européen. Cela nécessite un budget européen bien plus important, avec des ressources fiscales propres (taxe sur les transactions financières, taxe carbone...)et un pilotage par la BEI ou mieux :une BCE réformée. Tout cela induit donc des transferts de compétences, autrement dit un saut fédéral et nécessairement démocratique de l'Union Européenne (avec un Parlement Européen au cœur des institutions et des « commissaires » qui en sont membres).
    (Bon, j'ai bien conscience de monter crescendo dans le long terme et l'utopique là).
    2.) Par la défense commune de nos intérêts :
    Pour une partie du reste de nos échanges commerciaux avec le reste du monde, là encore l'union fait la force. Nous sommes tout de même la première puissance commerciale mondiale ! Si nous défendions davantage nos intérêts en communs et pas seulement pays par pays, on pourrait imposer nos conditions à des pays comme la Chine ou les États-Unis , qui ont autant besoin de nous que nous d'eux. 
    N'ayons pas peur de les menacer et de mettre en place des mesures protectionnistes si leurs normes sociales et environnementales n'évoluent pas vers les nôtres (le futur traité transatlantique devrait bien sûr aller dans ce sens...). 
    (À propos du protectionnisme, je vous renvoie aussi à l'article « commerce, agriculture et faim dans le monde » au sujet du protectionnisme éducateur pour les PMA).
    3.) Par la transition et relocalisation énergétique :
    Concernant nos importations énergétiques enfin, il s'agira tout simplement à terme de pouvoir s'en passer et d'anticiper par ailleurs le déclin inéluctable des ressources fossiles (voir le peak oil).
    Il faudra s'en passer dans le cadre de la transition écologique de l'économie (via le développement des énergies renouvelables, de l'efficacité énergétique et des réductions de consommation) et en sortant ainsi au maximum du jeu global par la relocalisation énergétique mais aussi agricole (deux secteurs stratégiques où la relocalisation est possible et plus que souhaitable).
    Au demeurant, la relocalisation des activités économiques, forcément partielle, doit aussi être une perspective d'action à développer (voir le site du Business Alliance for Local Living Economies et cette vidéo d'introduction : http://www.youtube.com/watch?v=KvlszWbB1-A).
     
     
En conclusion, s'il y a urgence sociale à lutter contre le chômage de masse, on doit pourtant inscrire notre action politique dans une pensée de long terme. Avec l'idée d'atténuer et de nous préparer au péril écologique (changement climatique, épuisement des ressources naturelles, perte de biodiversité, pollutions multiples) et ses conséquences désastreuses exponentielles ; mais aussi de s'assurer d'une Europe unie dans le monde multipolaire de demain.



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