jeudi 16 mai 2013

Un modèle allemand ??


                                           ...In diese Richtung François...

L'Allemagne connaît aujourd'hui une situation de quasi plein emploi, des comptes publiques annuels à l'équilibre, une balance de commerce extérieure ultra-excédentaire, et un taux de croissance faible mais solide.
Cette réussite économique, en comparaison avec la situation française actuelle, incite bon nombre d'experts à ériger l'Allemagne en modèle dont il faudrait suivre autant que faire se peut les caractéristiques.
Dans cet article je voudrais vous démontrer que si l'Allemagne connaît des aspects positifs (selon mes propres critères) elle est loin de constituer à mon sens un modèle à suivre.

Sa réussite économique rend, de fait, l'Allemagne LE leader politique européen, sans qu'elle n'ait d'ailleurs recherchée cette position.
Au même titre, si l'Allemagne n'est pas responsable de la crise économique actuelle en Europe, la politique libérale poursuivie par ses élites n'a fait que l'aggraver :
  • par l'imposition d'une austérité publique généralisée en Europe via les plans d'aides pour les « PIGS » ou la demande de respect explicite des critères de Maastricht et de mise en place de « réformes structurelles »,
  • par la défense traditionnelle d'une politique de l'euro fort mal venue en période de récession,
  • par une très forte compétitivité et donc des gains de parts de marché au détriment de ses partenaires européens au premier rang desquels : la France.

Il s'agit tout d'abord de comprendre ses choix, qui s'expliquent historiquement :
  1. Concernant la politique monétaire de stabilité de la BCE:
    Il faut noter que Mitterand avait acceptée la réunification allemande (synonyme du retour d'une Allemagne puissante) à la condition que soit mis en place l'Euro (et donc l'abandon du fort Deutsch Mark si symbolique pour les allemands).
    Kohl avait à son tour accepté la requête de Mitterand, à la condition que la future BCE reste indépendante du pouvoir politique et suive une politique de stabilité (soit un copier-coller de la Bundesbank).
    Cette position allemande s'explique notamment par une peur historique de l'inflation.

  2. Concernant le choix d'une politique de compétitivité, celui-ci est rendu possible tout d'abord :

    2a) Pour ce qui est de sa composante « hors-prix »
    Par la présence traditionnelle en Allemagne d'un tissu remarquable de PME familiales très spécialisées et innovantes (Mittelstand) et par de grands groupes industriels (automobile, métallurgie, machines-outils, chimie...) tournés vers l'export.
    Petite digression pour faire remarquer que si l'Allemagne dispose comme nous le verrons d'une avance écologique intérieure salutaire, ses grands groupes industriels exportent massivement leurs coûts environnementaux et sociaux dans le reste du monde et freinent des quatre fers toute directive européenne sur la Responsabilité Sociale et Environnementale des entreprises (RSEE).
    De plus, les légions de fiscalistes allemands et les grands groupes bancaires sont passés maîtres en matière d' « optimisation fiscale ». (On pourrait dire la même chose en France, mais avec une Allemagne très implantée dans la mondialisation, c'est encore plus flagrant).

    2b) Pour ce qui est de sa composante « prix » :
    Premièrement, par une politique de modération salariale au sein des entreprises, acceptée par les syndicats, dont il résulte d'ailleurs une faible demande intérieure (source de fragilité potentielle si le climat économique international se détériore).
    Deuxièmement, par la mise en place de réformes libérales dites « structurelles » durant les années Schroeder (l'Agenda 2010 dont les fameuses réformes Hartz, réformant le marché du travail et les différentes branches d'assurances sociales).
    Troisièmement, par une fiscalité de droite et une politique de rigueur budgétaire (à expliquer au-delà du dogme libéral par la prégnance de l'éthique protestante ? Après tout, il est impressionnant de constater la place de l'église protestante dans la vie politique allemande (au niveau fédéral : Merkel fille de pasteur, Joachim Gauck, Aaron Eckhart...)). Il faut d'ailleurs remarquer un certain désinvestissement public notamment dans les infrastructures, qui devient inquiétant.
    Les élites allemandes ont justifiées cette politique de compétitivité prix par des raisons honorables, à savoir de faire face aux coûts de la réunification et du fort vieillissement de la population. En outre, la population allemande a pu accepter une telle politique grâce à des prix du logement peu cher (dût au déclin démographique notamment) et aux relations avec les PECO, ces ex-démocraties populaires qui ont rejoint l'UE en 2004 et qui constituent un Hinterland pour la compétitivité coût allemande.
    Mais cette politique a aussi de graves conséquences sociales, avec un fort creusement des inégalités et une augmentation de la pauvreté. En effet, le revers de la médaille ce sont les nombreux travailleurs pauvres en Kurzarbeit (chômage partiel) ou en mini-jobs (les fameux « 1 Euro Job »), des règles du Hartz IV (équivalent de notre RSA) draconiennes, l'absence de salaire minimum dans certaines branches, le niveau scandaleux des petites retraites, la faible réinsertion professionnelle des mères de famille...

Alors faut-il vraiment suivre le même chemin, comme y appellent certains « experts » ?
Au-delà des côtés négatifs que l'on vient de décrire et de la « race to the bottom » induite (voir l'autre article), notre économie repose davantage sur une demande intérieure forte tandis que les prix du logement sont encore très élevés, nos relations avec le Maghreb ne sont pas l'équivalent de celles de l'Allemagne avec les PECO et enfin une austérité généralisée ne ferait qu'aggraver la spirale récessive. 


Il semble dès lors normal de dire aux élites allemandes que leurs partenaires européens perdent à cette politique de compétitivité et qu'eux-mêmes y perdront bientôt (cf autre article).
Il semble normal de leurs dire qu'ils perdront et que nous perdons déjà à une politique de l'euro fort et à leur demande d'austérité généralisée en Europe. L'Allemagne austère a largement profité des plans de relance d'après crise financière de ses partenaires européens. Mais aujourd'hui, à quoi bon être compétitif si vos principaux clients n'ont plus de quoi acheter vos produits ? Et depuis quand arrive-t-on à se désendetter en période de récession économique ?
Des questions que feraient bien de se poser les élites allemandes, à moins qu'ils croient pouvoir s'en sortir seuls dans la mondialisation, comme en atteste la percée du parti eurosceptique Alternative für Deutschland...

Voilà des critiques justifiées qui ont récemment été lancée par une partie de la gauche française, de manière un peu maladroite à l'adresse de la chancelière Merkel (j'évacue tout de suite le débat stérile sur la germanophobie). Des critiques justifiées mais peut-être pas stratégiques.
En effet, si madame Merkel est si populaire aujourd'hui, c'est notamment, au-delà du style, d'une parce qu'elle surfe sur la réussite économique (avec laquelle elle n'a pourtant rien à voir...), et deuxièmement parce qu'elle défend une ligne dure sur l'austérité en Europe. Effectivement, la population allemande qui comme nous l'avons vu en a bavé avec les réformes Schroeder, rechigne à la solidarité européenne avec des pays jugés corrompus voire laxistes ou même fainéants.

La gauche française ferait peut-être mieux de se raccrocher à deux signes d'espoir :
  1. Les élections fédérales de l'automne prochain, car quels qu'en soit les résultats, la réussite économique appelle à plus de politiques sociales. Bien sûr, ce sera plus ou moins le cas selon la coalition qui arrivera au pouvoir, mais le parti ultra-libéral FDP n'y sera très probablement plus.
    Tandis que les syndicats se réveillent enfin, multipliant les grèves d'avertissements et négociant des hausses de salaire avec le patronat, il n'y a qu'à suivre la campagne du SPD et des Grünen, très axée sur les questions sociales, pour retrouver un peu le sourire. Ces deux partis « de gauche », qui ont pourtant été capables de mettre en place l'Agenda 2010, en font aujourd'hui la critique sociale et demande au patronat allemand de payer plus (hausse des impôts pour les plus riches, mise en place d'un salaire minimum unifié à 8,5 euros/heure, réforme des petites retraites et lutte contre la pauvreté, égalité salariale hommes-femmes dans l'entreprise...).
  2. À plus long terme et de manière plus utopique, il faudrait proposer au nouveau gouvernement allemand une réorientation majeure de l'Europe, en partant de l'écologie (cf l'autre article : harmonisation, voire investissements d'avenir européens dans la transition écologique de l'économie et coopération écologique, voire saut fédéral et démocratique de l'UE). Je les vois mal refuser, surtout que Joschka Fischer nous l'avait déjà proposé (dans une moindre mesure) et nous avions malheureusement refusé...La question se pose donc finalement beaucoup plus côté français, la gauche actuelle (je ne parle même pas de la droite) le veut-elle vraiment ? En est-elle seulement capable ? En aurait-elle le courage ?

Pour finir, je disais les voir mal refuser étant donné certaines caractéristiques de l'Allemagne, qui constitue selon moi le véritable « modèle » dont il s'agirait de s'inspirer en France :
  • L'avance écologique intérieure (Sortie du nucléaire et « Energiewende » encore améliorable cependant (diminution trop faible de la part du charbon) ; R et D importante dans les technologies vertes et l'efficacité énergétique ; niveau élevé de la consommation bio (mais dérive vers du « bio industriel et non local ») ; force du mouvement associatif et politique écolo, etc, et ce malgré une petite faiblesse des transports en commun au royaume de l'automobile).
  • Le fédéralisme politique (les fameux Länder), un fonctionnement démocratique plus avancé, une vie politique plus saine (moins de corruption, débats sur le fond, personnel politique plus compétent...).
  • La place des salariés dans l'entreprise (dans les conseils de surveillance notamment) et la forte démocratie sociale (même si elle a ses limites comme on l'a vu), la très bonne qualité de la formation professionnelle et les Mittelstand déjà évoquées.

    ...Et natürlich la bière, les biergarten et les nombreuses fêtes populaires...

1 commentaire:

  1. Salut Martin, joli blog mais je garderai un esprit plus critiques sur le système allemand, avec une critique pus radicale des réformes Hartz IV (c'est peut être un point de vu ma foi un peu trop de gauche), et en insistant sur les composantes "traditionnel" de la réussite allemande, voir culturel (je pense ici aux habitudes d'investissement des plus fortunés, dans la pierre en France, contribuant ainsi à la hausse des prix de l'immobilier, et dans l'industrie en Allemage, constituant ainsi un capital plus solide pour les entreprises. Dans tous les cas, je te conseillerait "Made in Germany, le modele allemand au dela du mythe" de Guillaume Duval, le rédacteur en chef d'Alter Eco. On est pas obligé d’être d'accord avec tout ce qu'il écrit, mais on y apprend beaucoup de chose. Tu en as entendu parler? (répond moi sur FB, ton blog me plait beaucoup) Loïc Mainguy

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